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n’auras pas vengé ma mort ! Tu ne m’oublieras pas non plus, mon second frère, tant que tu ne seras pas couché à mes côtés ! Tu es chaude, ô balle, et tu portes la mort. Mais n’étais-tu pas ma fidèle esclave ! Tu es noire, ô terre, tu me couvriras. Mais ne t’ai-je point foulée avec mon cheval ! Tu es froide, ô mort, mais je fus ton maître. C’est la terre qui prendra mon corps ; c’est le ciel qui prendra mon âme ! »

Hadji Mourad écoutait toujours cette chanson les yeux fermés, et quand elle était terminée, après la longue note mourante de la fin, il disait toujours en russe :

— Bonne chanson, sage chanson.

La poésie de la vie particulière, énergique, des montagnards, depuis l’arrivée de Hadji Mourad et son amitié avec lui et ses murides, enflammait Boutler encore davantage. Il s’acheta un bechmet, une tcherkeska, des guêtres. Il lui semblait être lui-même un montagnard et vivre de la même vie que ces hommes.

Le jour du départ de Hadji Mourad, Ivan Matvéievitch réunit quelques officiers pour l’accompagner. Les officiers étaient assis, les uns à la table où Marie Dmitriévna servait le thé, les autres à une table chargée d’eau-de-vie, de vin, de victuailles. Hadji Mourad, en costume de route, à pas rapides, doux, en boitant, entra dans la chambre. Tous se levèrent, et chacun à son tour lui serra la main et le salua. Ivan Matvéievitch l’invita à s’asseoir sur le divan, mais il