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d’habits sans ornements, entourée de murides dont les vêtements et les armes étaient ornés d’or et d’argent, produisait précisément l’impression qu’il désirait produire et dont il savait l’influence sur le peuple. Son visage pâle encadré d’une barbe rousse, taillée, avec ses yeux petits, dont il clignait toujours, était absolument immobile et semblait pétrifié. En traversant l’aoul il sentait, fixés sur lui, des milliers d’yeux, mais les siens ne regardaient personne.

Les femmes de Hadji Mourad, comme tous les habitants, sortirent de leur cabane sur la vérandah pour voir la rentrée de l’Iman. Seule la vieille Patimate, la mère de Hadji Mourad, ne sortit point. Elle demeurait assise sur le sol de la cabane, ses cheveux blancs, épars, entourant de ses longs bras ses genoux maigres. Clignant de ses yeux noirs brûlants, elle regardait les branches carbonisées dans l’âtre. Ainsi que son fils, elle avait toujours haï Schamyl, et maintenant, encore plus qu’autrefois, elle ne voulait pas le voir. Le fils de Hadji Mourad non plus ne vit point l’entrée triomphale de Schamyl. Il entendait seulement, du fond de son trou noir, puant, les coups de fusil et les chants, et souffrait comme souffrent les jeunes gens pleins de vie, privés de liberté, qui sont enfermés dans un trou infect et ne voient que les hommes sales, flétris, enfermés avec eux, et qui dans la plupart des cas se haïssent les uns les autres. Maintenant il enviait passionnément les hommes qui jouissaient de l’air et de la lumière,