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petite baguette, en regardant stupidement devant lui. Il venait de retourner de son rucher. Les deux meules de foin qui se trouvaient là-bas avaient été incendiées. Les abricotiers, les cerisiers qu’il avait plantés et soignés, étaient brisés et brûlés, brûlées également ses ruches avec ses abeilles. De tous côtés s’entendaient les hurlements des femmes, les jeunes enfants pleuraient avec leurs mères, et le bétail affamé, auquel il n’y avait rien à donner à manger, criait aussi. Les plus âgés des enfants ne jouaient pas, et, avec des yeux inquiets, regardaient les grandes personnes. La fontaine avait été souillée, évidemment exprès, de sorte qu’on n’y pouvait puiser. De même des ordures avaient été répandues dans la mosquée, et le mullah et ses aides la nettoyaient. Personne ne parlait de la haine pour les Russes. Le sentiment qu’éprouvaient tous les Tchetchenz, des petits aux grands, était plus fort que la haine. Ce n’était pas de la haine. C’était l’impossibilité de voir en ces chiens de Russes des hommes, et un tel dégoût, une telle horreur, un tel étonnement devant la cruauté stupide de ces créatures que le désir de les exterminer, comme on a le désir d’exterminer les rats, les araignées venimeuses, les loups, était un sentiment aussi naturel que celui de sauvegarde.

Devant les habitants se posait ce problème : demeurer ici et reconstruire par des efforts inouïs tout ce qui avait coûté tant de travail et qui avait été détruit si facilement, si stupidement, et s’at-