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présentait à lui sous un seul aspect : il se soumettait au danger, à la possibilité de la mort ; par conséquent, il méritait une récompense et le respect de ses camarades d’ici, ainsi que de ses amis de Russie. L’autre aspect de la guerre : la mort, les blessures des soldats, des officiers, des montagnards, quelque étrange que cela semble, ne se présentait pas à son imagination, et même, inconsciemment, il ne regardait jamais ni les tués ni les blessés, pour n’avoir devant soi que l’image poétique qu’il s’était faite de la guerre. Ainsi, ce jour-là, les Russes avaient trois tués et douze blessés. Il passa devant les cadavres, qui étaient étendus sur le dos, et ne regarda que d’un seul œil une poitrine étrange, des mains cireuses, une tache sombre, rougeâtre sur la tête, et ne s’arrêta pas pour les examiner. Les montagnards, eux, ne se présentaient à lui que comme des cavaliers desquels il fallait se défendre.

— Alors, voilà ce que c’est, mon cher, lui dit le major, profitant d’un silence entre deux chansons. Ce n’est pas comme chez vous, à Pétersbourg : Par le flanc droit ! Par le flanc gauche ! Vous allez travailler, et après à la maison, où notre Marie nous sert un gâteau, de la bonne soupe. Voilà la vie, n’est-ce pas ? Eh bien ! « Quand l’aube parut ! » commanda-t-il aux soldats. C’était sa chanson préférée.

Il n’y avait pas de vent. L’air était frais, pur, et si transparent que la montagne de neige qui se trouvait à une centaine de verstes paraissait