Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Devant la cinquième compagnie marchait, en tunique noire et bonnet de fourrure, le porte-épée en sautoir, un bel officier, Boutler, qui, de la garde, était passé à l’armée du Caucase. Il éprouvait ce sentiment excitant de la joie de vivre et en même temps du danger de la mort, du désir de l’activité et de la conscience de participer à quelque chose d’énorme, dirigé par une seule volonté. Boutler, ce jour-là, allait pour la deuxième fois au combat, et il se disait que voilà, tout de suite, on allait commencer à tirer sur eux et que lui, non seulement ne baisserait pas la tête devant l’obus qui volerait vers lui ou ne ferait pas attention au sifflement des balles, mais que, comme cela lui était déjà arrivé, il redresserait la tête et, le sourire dans les yeux, regarderait ses camarades et les soldats, et leur parlerait de la voix la plus tranquille de quelque chose d’indifférent.

Le détachement quitta la grand’route et s’engagea dans un chemin peu fréquenté, qui traversait des champs de maïs et se rapprochait de la forêt. Bientôt, sans qu’on ait vu d’où il venait, avec un sifflement sinistre un obus vola et vint tomber au milieu du train des équipages, près de la route, dans le champ de maïs, en labourant le sol.

— Ça commence ! dit Boutler, en souriant gaiement, au camarade qui marchait à côté de lui.

Et en effet, après l’obus, se montra, sortant de la forêt, une foule compacte de Tchetchenz à cheval, avec leurs insignes. Au milieu de cette