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que, près d’un buisson d’ajoncs, qui se trouvait entre la chaîne et la colonne, avaient bondi une chèvre au ventre blanc et au dos gris, et un bouc de même couleur, avec de petites cornes recourbées en arrière. Les beaux et craintifs animaux, en repliant leurs pattes de devant, fuyaient à toute vitesse, et ils passèrent si près de la colonne qu’un certain nombre de soldats, en riant et criant, les poursuivirent avec l’intention de les tuer à la baïonnette. Mais les chèvres se détournant réussirent à se frayer un chemin à travers la chaîne, et, poursuivies par quelques cavaliers et par les chiens de la compagnie, comme des oiseaux, disparurent dans les montagnes. C’était l’hiver encore, mais le soleil commençait à monter assez haut, et à midi, quand le détachement qui était sorti de bonne heure avait déjà parcouru quatre verstes, il était très chaud, et ses rayons étaient si vifs qu’on avait mal à regarder l’acier des baïonnettes et les étincelles qui, tout d’un coup, paraissaient sur le cuivre des canons comme de petits soleils. Derrière, il y avait une petite rivière rapide, claire, que le détachement venait de traverser ; devant s’étendaient des champs labourés et des prairies, et, plus loin, les mystérieuses montagnes noires couvertes de forêts. Au delà des montagnes sombres, d’autres se dessinaient encore, et plus loin, tout en haut de l’horizon, se dressait, toujours belle, toujours changeante, toujours jouant avec la lumière, comme le diamant, la montagne aux neiges éternelles.