Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait décidé, coûte que coûte, d’attirer sur elle son attention. Elle avait atteint son but, et, maintenant, lui disait-elle, elle n’avait plus besoin de rien. Cette jeune fille fut amenée à l’endroit ordinaire des rendez-vous de Nicolas avec les femmes et il passa avec elle plus d’une heure.

Et cette nuit, quand, de retour dans sa chambre, il se coucha sur son lit étroit, dur, dont il était fier, et se couvrit de son manteau qu’il trouvait aussi célèbre — il le disait — que le chapeau de Napoléon, il ne put, de longtemps, s’endormir. Tantôt il se rappelait l’expression effrayée et enthousiaste du visage blanc de la jeune fille, tantôt les fortes et grasses épaules de sa maîtresse en titre, Mme Nelidoff, et il comparait les deux femmes. Mais il ne lui venait point en tête que la débauche d’un homme marié est ignominieuse, et il eût été fort étonné si quelqu’un l’en avait blâmé. Cependant, malgré qu’il fût convaincu qu’il agissait convenablement, il sentait quelque chose de désagréable, une sorte de remords, et, pour étouffer ce sentiment, il se mit à penser à ce qui le calmait toujours : quel grand homme il était.

Bien qu’il se fût endormi tard, il se leva dès sept heures du matin. Après sa toilette habituelle, après avoir frotté de glace son grand et gros corps, après avoir prié Dieu, il récita les prières habituelles qu’il répétait depuis l’enfance : l’Ave, le Credo, Pater Noster, sans attribuer aucun sens aux paroles prononcées, et il sortit par le petit perron, sur le quai, en manteau et casquette.