Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/111

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bordé à droite d’un précipice d’environ cinquante sagènes de profondeur.

M’écartant des soldats, je marchai à droite, au bord du précipice. Un soldat voulut m’arrêter, mais je m’élançai dans le précipice en l’entraînant avec moi. Le soldat se tua, et moi, comme vous voyez, je suis resté vivant. Les côtes, la tête, les bras, les jambes, tout était brisé. Je voulus me traîner en rampant, impossible. La tête me tournait et… Je m’endormis. Je m’éveillai, j’étais tout trempé de sang ; un berger m’aperçut ; il appela à l’aide et on me transporta dans l’aoul. Les côtes, la tête guérirent ; la jambe se cicatrisa aussi, mais elle est restée un peu plus courte, — et Hadji Mourad étendit sa jambe courbée.

— Mais je puis m’en servir, et c’est encore bien, dit-il. Le peuple apprit qui j’étais et on commença à venir me voir. Je guéris et m’installai à Tselmess. Les Abazes m’appelèrent de nouveau pour les diriger, dit Hadji Mourad avec un orgueil calme et sûr. J’y consentis.

Hadji Mourad se leva rapidement, alla prendre dans un sac un grand portefeuille, duquel il tira deux lettres jaunies qu’il tendit à Loris Melikoff. Ces lettres étaient du général Klugenau. Loris Melikoff les lut. Dans la première il était dit : « Lieutenant Hadji Mourad, tu as servi sous mes ordres, j’étais content de toi, et te considérais comme un brave. Récemment le général Akhmet Khan m’a informé que tu es un traître, que tu portes le turban, que tu es de connivence avec