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vrai saint. Quand il était Iman, tout le peuple était autrement. Il visitait tous les aouls et le peuple sortait à sa rencontre, baisait le bas de ses vêtements, se repentait de ses péchés, et jurait de ne rien faire de mal. Et les vieux disent qu’alors tous les hommes vivaient comme des saints, ne fumaient pas, ne buvaient pas, priaient sans cesse, se pardonnaient leurs offenses, même pardonnaient le meurtre. Alors, on attachait à des poteaux l’argent, les objets, et on les exposait sur la route. Alors Dieu donnait au peuple le succès en tout ; ce n’était pas comme maintenant.

— Maintenant non plus, dans les montagnes, on ne boit pas et ne fume pas, objecta Gamzalo.

— Ton Schamyl est un lamoreï, dit Khan-Magom, en clignant des yeux dans la direction de Loris Melikoff.

« Lamoreï » était le nom méprisant des montagnards.

— Un montagnard lamoreï ! répondit Gamzalo. Dans la montagne ne vivent que les aigles.

— Bravo ! Bien répondu ! applaudit Khan-Magom en montrant ses dents, réjoui de l’habile réponse de son adversaire.

Remarquant le porte-cigarettes en argent que tenait Loris Melikoff, Khan-Magom lui demanda de quoi fumer. Loris Melikoff lui ayant fait remarquer qu’il leur était défendu de fumer, il cligna d’un œil en indiquant de la tête la chambre de Hadji Mourad et répondit qu’on pouvait fumer tant que lui ne le voyait pas. Et aussitôt il se mit