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Il me vint l’idée d’arracher cette bardane et de la mettre au milieu de mon bouquet. Je descendis dans le fossé, et, après avoir chassé un bourdon velu qui s’était accroché au milieu d’une fleur et s’y était endormi doucement, mollement, je me mis à arracher la plante. Mais c’était très difficile. Non seulement la tige piquait de tous côtés, même à travers le mouchoir dont j’avais entouré ma main, mais elle était si résistante que je luttai contre elle presque cinq minutes, la déchirant fibre par fibre. Quand enfin je l’eus détachée, la tige était tout en lambeaux, et la fleur ne paraissait déjà plus ni aussi fraîche ni aussi belle. Outre cela, à cause de sa rudesse, de sa raideur, elle n’allait pas du tout avec les fleurs délicates de mon bouquet. J’eus du regret d’avoir détruit en vain la fleur qui était si belle sur sa tige et la jetai. « Quelle énergie ! quelle vitalité ! » me dis-je, me rappelant les efforts déployés pour l’arracher. « Comme elle se défendait, et comme elle a chèrement vendu sa vie ! »

Pour rentrer chez moi, je devais traverser des champs gras, fraîchement labourés, et gravissais la pente douce de la route poussiéreuse. Le champ labouré appartenait à un propriétaire ; il était très grand, de sorte que de chaque côté ainsi que devant, en montant, on ne voyait rien sauf la terre noire d’un champ retourné avec une grande régularité. Le labourage était bon, et sur toute l’étendue du champ ne se voyait ni une plante, ni une herbe, tout était noir. « Quel être destructeur, l’homme !