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CHAPITRE II

I

L’intelligence humaine ne saurait comprendre a priori la perpétuité absolue dans le mouvement des corps : elle n’en conçoit les lois que lorsqu’elle peut en décomposer les unités et les étudier séparément, mais en même temps ce partage arbitraire en unités précises est la cause de la plupart de nos erreurs.

Qui ne connaît le sophisme des anciens qui consistait à dire qu’Achille ne saurait atteindre la tortue qu’il voit marcher devant lui, quoique sa marche soit dix fois plus rapide que celle de l’animal, car, chaque fois qu’Achille aura franchi la distance qui l’en sépare, celui-ci aura repris de l’avance en parcourant la dixième partie de cette même distance, et, lorsque Achille franchira la dixième, la tortue en franchira la centième, et ainsi de suite à l’infini. Pour les anciens, c’était là un problème insoluble. Le non-sens de cette proposition provient de ce qu’on a admis des unités de mouvement avec arrêt, tandis que le mouvement d’Achille et de la tortue est continu.

En prenant pour base les unités les plus infimes d’un mouvement quelconque, nous approchons de la solution sans jamais y atteindre ; ce n’est qu’en admettant les infinitésimaux et leur progression ascendante jusqu’à un dixième, et en faisant la somme de cette progression géométrique, que nous obtenons la solution désirée. La nouvelle science de l’emploi des infiniment petits résout actuellement des questions qui paraissaient jadis insolubles. En admettant les infinitésimaux, elle rétablit