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ÉPILOGUE[1]

I

Le mariage de Natacha, devenue la femme de Besoukhow en 1813, fut le dernier heureux événement pour nos vieux amis les Rostow. Le comte Ilia Andréïévitch mourut la même année, et, comme il arrive toujours, avec lui s’effondra sa famille, telle que nous l’avons connue. L’incendie de Moscou, la mort du prince André, la douleur de Natacha, la fin prématurée de Pétia, le désespoir de la comtesse, tous ces coups successifs finirent par accabler le pauvre comte.

Il semblait ne pas avoir la force de comprendre l’étendue de tous ses malheurs, et, inclinant sa vieille tête sous la main de la Providence, il eut l’air d’attendre et d’appeler son dernier moment. Tantôt effaré, éperdu, tantôt en proie à une excitation fébrile, il passait sans transition d’un extrême à l’autre.

Quand vint la noce de sa fille, il ne s’occupa que du côté matériel des arrangements : il commandait les dîners, les soupers, et faisait son possible pour paraître gai : mais sa gaieté n’était plus communicative comme auparavant. Elle faisait naître au contraire un sentiment de compassion chez ceux qui le connaissaient et l’aimaient. Les nouveaux mariés une fois partis, il s’affaissa, se plaignit d’un invincible ennui, tomba malade, et se coucha pour ne plus se relever ; malgré les assurances trompeuses des médecins, il avait compris que son

  1. Malgré le talent hors ligne déployé par l’auteur dans l’exposé philosophique de la première partie de cet épilogue, nous avons cru pouvoir l’omettre dans notre traduction, sans inconvénient pour la marche et la clarté du récit. (Note du trad.)