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tandis que d’autres dégringolaient de la montagne vers l’étang. Pétia continuait à galoper dans la cour de la maison, mais, au lieu de tenir la bride en main, il gesticulait d’une façon étrange des deux bras à la fois, et se penchait de plus en plus d’un côté de sa selle. Son cheval, venant à se heurter contre les tisons d’un foyer à demi éteint, s’arrêta court, et Pétia tomba lourdement à terre. Ses pieds et ses mains s’agitèrent un moment, tandis que sa tête restait immobile : une balle lui avait traversé le cerveau. Un officier français sortit de la maison avec un mouchoir blanc au bout de son épée, et déclara à Dologhow qu’ils se rendaient. Celui-ci, descendant alors de cheval, s’approcha de Pétia, qui gisait sur le sol, les bras étendus.

« Fini ! » dit-il les sourcils froncés, et il alla à la rencontre de Denissow.

« Tué ! » s’écria ce dernier en devinant de loin, à cet abandonnement du corps qu’il connaissait si bien, que Pétia était mort.

« Fini ! » répéta Dologhow, comme s’il éprouvait un plaisir particulier à prononcer ce mot, et il rejoignit les prisonniers qu’entouraient les cosaques.

« Nous le laisserons là, » cria-t-il à Denissow, qui ne lui répondit rien.

De ses mains tremblantes, celui-ci avait relevé la figure, maculée de boue et de sang, du pauvre Pétia… « Je suis habitué à manger des douceurs, c’est du raisin sec excellent, prenez-le tout »… Ces paroles lui revinrent involontairement à la mémoire, et les cosaques se regardèrent stupéfaits, en entendant des sons rauques, pareils au jappement d’un chien, qui sortaient de la poitrine oppressée de Denissow. Se retournant tout à coup, il se cramponna convulsivement à la palissade.

Parmi les prisonniers russes qui venaient d’être délivrés, se trouvait Pierre Besoukhow.

XI

Les autorités françaises n’avaient pris aucune nouvelle disposition pour le transport des prisonniers dont Pierre faisait