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— Mais que t’a dit le général ? De retourner à l’instant, sans doute ? » Pétia rougit :

« Il ne m’a rien dit… alors puis-je rester ?

— C’est bien, répliqua Denissow, et, se tournant vers ses hommes, il leur ordonna de se diriger par le bois vers la maison du garde, qui était l’étape indiquée, et envoya l’officier monté sur le cheval kirghiz, qui remplissait près de lui les fonctions d’aide de camp, demander à Dologhow s’il viendrait dans la soirée : pendant ce temps, suivi de Pétia et de l’essaoul, il irait jusqu’à la lisière du bois examiner de loin la position des Français, qu’il comptait attaquer le lendemain. « Eh bien, vieux barbu, fit-il en s’adressant au guide, mène-nous vers Schamschew. »

IV

La pluie avait cessé et le brouillard tombait goutte à goutte des branches alourdies. Denissow, l’essaoul et Pétia suivaient en silence le paysan au bonnet blanc, qui marchait légèrement et sans bruit, les pieds dans ses chaussures de tille, sans s’inquiéter des feuilles et des racines qui lui barraient le chemin. Arrivé au bord du talus, le guide s’arrêta, regarda autour de lui et se dirigea vers un mince rideau d’arbres ; s’y plaçant sous un grand chêne, qui n’avait pas encore perdu son feuillage, il appela à lui ses compagnons, d’un signe mystérieux. Denissow et Pétia le rejoignirent et aperçurent de là les Français. À gauche, derrière le bois, s’étendait un champ ; à droite, par-dessus un ravin aux bords escarpés, on apercevait un petit village et une maison de propriétaire avec son toit défoncé ; dans ce village, dans cette maison, autour des puits, de l’étang, le long de la route qui menait au pont, on entrevoyait, à travers les vapeurs du brouillard, les masses mouvantes d’une foule d’hommes ; on entendait distinctement les cris en langue étrangère qu’ils poussaient pour activer les pas des chevaux à la montée, et les appels qu’ils se jetaient entre eux.

« Amenez le prisonnier, » dit tout bas Denissow, sans quitter des yeux l’ennemi.

Le cosaque descendit de cheval, enleva le petit tambour et le conduisit à son chef, qui lui demanda quelles étaient les troupes