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CHAPITRE V

I

Peu d’événements historiques sont aussi instructifs que la bataille de Borodino, l’occupation de Moscou par les Français et leur retraite sans nouveaux combats.

Tous les historiens s’accordent à dire que l’action extérieure des peuples et des empires se traduit, dans leurs collisions mutuelles, par les guerres, et que leur force politique diminue ou augmente en raison des succès militaires plus ou moins grands qu’ils ont obtenus.

Ils sont sans doute étranges les récits officiels qui nous montrent comment un roi ou un empereur, en querelle avec un voisin, rassemble son armée, se bat avec celle de son ennemi, emporte la victoire, massacre quelques milliers d’hommes et conquiert tout un royaume de plusieurs millions d’habitants. Sans doute on a peine à comprendre que la défaite d’une armée, c’est-à-dire de la centième partie des forces de tout un peuple, entraîne sa soumission, ces faits néanmoins confirment la justesse de l’observation des historiens. Que l’armée gagne une grande bataille, et aussitôt les droits du vainqueur s’augmentent au détriment du vaincu ; que l’armée au contraire soit battue, et le peuple qu’elle a derrière elle perd ses droits dans la mesure de l’échec qu’elle a subi, et, si la déroute est complète, se soumet complètement. Cela a toujours été ainsi (du moins selon l’histoire), depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, et les guerres de Napoléon confirment cette règle. À la suite de la défaite des troupes autrichiennes, l’Autriche perd ses droits, et ceux de la France