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souvenant d’un ordre à donner, il fit signe du doigt à André Kaïssarow, le frère de son aide de camp.

« Comment donc sont ces vers de Marine, les vers sur Ghérakow !… Dis-les un peu ! »

Kaïssarow les récita, et Koutouzow balançait la tête en mesure, en les écoutant.

Lorsque Pierre s’éloigna, Dologhow s’approcha de lui et lui tendit la main.

« Je suis charmé de vous rencontrer ici, comte, dit-il tout haut, sans paraître embarrassé le moins du monde par la présence d’étrangers.

— À la veille d’un pareil jour, reprit-il avec solennité et décision, à la veille d’un jour où Dieu seul sait ce qui nous attend, je suis heureux de trouver l’occasion de vous dire que je regrette les malentendus qui se sont élevés entre nous, et je désire que vous n’ayez plus de haine contre moi… Accordez-moi, je vous prie, votre pardon. »

Pierre regardait Dologhow en souriant, ne sachant que lui répondre. Celui-ci, les larmes aux yeux, l’entoura de ses bras et l’embrassa. Sur ces entrefaites, le comte Bennigsen, auquel Boris avait glissé quelques mots, proposa à Pierre de le suivre le long de la ligne des troupes.

« Cela vous intéressera, ajouta-t-il.

— Bien certainement, » répondit Pierre.

Une demi-heure plus tard, Koutouzow partit pour Tatarinovo, tandis que Bennigsen, accompagné de sa suite et de Pierre, allait faire son inspection.

V

Bennigsen descendit la grand’route vers le pont que l’officier avait indiqué à Pierre comme étant le centre de notre position, et dont le foin, fauché des deux côtés de la rivière, embaumait les abords. Après le pont, ils traversèrent le village de Borodino ; de là, prenant sur la gauche, ils dépassèrent une masse énorme de soldats et de fourgons d’artillerie, et se trouvèrent en vue d’un haut mamelon sur lequel les miliciens exécutaient des travaux de terrassement : c’était la redoute qui devait recevoir plus tard le nom de « Raïevsky » ou « la bat-