Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ah ! voilà la reine de Pétersbourg, la comtesse Besoukhow, ajouta-t-elle en désignant Hélène, qui faisait son entrée. Comme elle est belle ! Elle ne le cède en rien à Marie Antonovna ! Regardez comme jeunes et vieux s’empressent à lui faire leur cour… Elle est belle et intelligente ! On dit que le prince en est amoureux fou… et celles-là, voyez, elles sont laides, mais encore plus recherchées, si c’est possible, que la belle Hélène ; ce sont la femme et la fille d’un archimillionnaire ! — Là-bas plus loin, c’est Anatole Kouraguine, » continua-t-elle, en leur désignant un grand chevalier-garde, très beau garçon, portant haut la tête, qui venait de passer à côté d’elles sans les voir. « Comme il est beau, n’est-ce pas ? On le marie avec l’héritière aux millions. Votre cousin Droubetzkoï la courtise aussi… — Mais certainement, c’est l’ambassadeur de France en personne, c’est Caulaincourt, répondit-elle à une question de la comtesse. Ne dirait-on pas un roi ? Ils sont du reste fort agréables tous ces Français ; personne n’est plus charmant qu’eux dans le monde… Ah ! la voilà enfin, la belle des belles, notre délicieuse Marie Antonovna ; quelle simplicité dans sa toilette !… ravissante !… — Et ce gros en lunettes, ce franc-maçon universel, Besoukhow, quel pantin à côté de sa femme ! »

Pierre se frayait un passage dans la foule en balançant son gros corps, en saluant de la tête, de droite et de gauche, avec sa bonhomie familière, et aussi à son aise que s’il traversait un marché ; il semblait chercher quelqu’un.

Natacha aperçut avec joie cette figure connue, « ce pantin, » comme disait Mlle Péronnsky, qui lui avait promis de venir à ce bal et de lui amener des danseurs.

Il était déjà tout près d’elle, lorsqu’il s’arrêta pour causer avec un militaire en uniforme blanc, de taille moyenne et d’une figure agréable, qui s’entretenait avec un homme de haute taille, chamarré de décorations : c’était Bolkonsky, que Natacha reconnut aussitôt. Elle le trouva plus animé, rajeuni, embelli :

« Maman, encore une connaissance ! dit-elle ; il a passé la nuit chez nous à Otradnoë ; le vois-tu ?

— Comment, vous le connaissez ? demanda la vieille Péronnsky, je ne puis le souffrir ! Il fait à présent la pluie et le beau temps ; c’est un orgueilleux, comme son père. Il s’est lié avec Spéransky et compose toutes sortes de projets de loi. Regardez un peu sa manière d’être avec les dames ; en voici