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donc impossible de se donner le maintien désiré, qui l’aurait d’ailleurs rendue gauche et ridicule, et elle dut se borner à contenir et à cacher son trouble : c’était, à vrai dire, la tenue qui lui seyait le mieux. Les Rostow montaient l’escalier au milieu d’une foule d’invités en grande toilette, qui échangeaient aussi quelques mots entre eux. Les grandes glaces appliquées sur les murs reflétaient l’image des dames en robes blanches, roses, bleues, avec des épaules et des bras ruisselants de diamants et de perles.

Natacha jeta sur les glaces un regard curieux, mais ne put parvenir à s’y voir, tellement tout se confondait et se mêlait dans ce chatoyant défilé ! À son entrée dans le premier salon, elle fut tout assourdie et ahurie par le bourdonnement des voix, le bruit de la foule, l’échange des compliments et des saluts, et aveuglée par l’éclat des lumières. Le maître et la maîtresse de la maison se tenaient à la porte et accueillaient depuis une heure leurs invités avec l’éternelle phrase : « Charmé de vous voir, » que les Rostow durent, comme tous les autres, entendre à leur tour.

Les deux jeunes filles, habillées de la même façon, avec des roses dans leurs cheveux noirs, firent ensemble la même révérence, mais le regard de la maîtresse de la maison s’arrêta involontairement sur la taille déliée de Natacha, et elle lui adressa un sourire tout spécial, différent du sourire stéréotypé et obligatoire avec lequel elle accueillait le reste de ses invités. Peut-être le lointain souvenir de son temps de jeune fille, de son premier bal, lui revint-il tout à coup à la mémoire, et, suivant des yeux Natacha, elle demanda au vieux comte laquelle des deux était sa fille. — « Charmante ! » ajouta-t-elle, en baisant le bout de ses doigts.

On se pressait autour de la porte du salon, car on attendait l’Empereur, et la comtesse Rostow s’arrêta au milieu d’un des groupes le plus en vue. Natacha sentait et entendait qu’elle excitait la curiosité ; elle devina qu’elle avait plu tout d’abord à ceux qui s’inquiétaient de savoir qui elle était, et sa première émotion en fut un peu calmée. « Il y en a qui nous ressemblent, il y en a qui sont moins bien, » pensa-t-elle.

La vieille Péronnsky leur nomma les personnes les plus marquantes.

« Voyez-vous là-bas cette tête grise avec des cheveux bouclés ? c’est le ministre de Hollande, » dit-elle en indiquant un homme âgé et entouré de dames, qu’il faisait pouffer de rire.