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oblique du matin. Dans le vallon, les colonnes ennemies et leur artillerie échangeaient déjà gaiement les premiers coups de feu avec notre ligne d’avant-postes.

Le crépitement de la fusillade, que Rostow n’avait pas entendu depuis longtemps, produisit sur lui l’effet d’une joyeuse musique : il prêta de bonne humeur l’oreille à ce trap, ta, ta tap incessant qui éclatait en masse ou isolé, et qui, après un intervalle de silence, reprenait avec une nouvelle vigueur : on aurait dit qu’un enfant s’amusait à poser le pied sur des pétards.

Les hussards restèrent une heure environ sans bouger. La canonnade commença. Après avoir échangé quelques mots avec le commandant du régiment, le comte Ostermann passa avec sa suite derrière l’escadron, et s’éloigna dans la direction de la batterie placée à quelques pas de là.

Un peu après, on entendit le commandement donné aux uhlans de se former en colonne d’attaque, et l’infanterie qui les masquait fractionna ses bataillons pour leur livrer passage. Ils descendirent la hauteur, et s’élancèrent au trot, leurs flammes flottant au bout de leurs piques, vers la cavalerie française, qui venait de déboucher à gauche de la colline.

Dès qu’ils eurent quitté leur poste, les hussards s’avancèrent pour l’occuper, afin de couvrir la batterie. Quelques balles perdues passèrent au-dessus d’eux, en sifflant et en geignant dans l’air.

Ce bruit, en se rapprochant, excita encore plus l’ardeur et la gaieté de Rostow. Crânement campé sur sa selle, il voyait se dérouler à ses pieds tout le terrain du combat, et prenait part de tout son cœur à l’attaque des uhlans. Lorsque ceux-ci fondirent sur la cavalerie française, il y eut quelques instants de confusion générale dans un tourbillon de fumée ; puis il les vit revenir en arrière sur la gauche, et il aperçut soudain, au milieu d’eux et de leurs chevaux alezans, des groupes compacts de dragons bleus français, montés sur des chevaux gris pommelé, qui les repoussaient avec vigueur.


XV

L’œil exercé de Rostow avait été le premier à se rendre compte de ce qui se passait : les uhlans, poursuivis par l’en-