Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans emploi auprès de personne, il consacra les quatre premiers jours à l’inspection du camp, dont il parvint à se former une idée exacte en s’aidant de ses propres lumières, et en questionnant ceux qui étaient capables de le renseigner. Les avantages de ce camp restèrent pour lui à l’état de problème : son expérience lui avait déjà plus d’une fois démontré que les plans les plus savamment combinés et les mieux étudiés n’ont souvent dans l’art militaire qu’une mince valeur… Il l’avait bien vu à Austerlitz, et il comprenait mieux que jamais, depuis ce jour-là, que la victoire dépend surtout de l’habileté à prévoir et à parer les mouvements inattendus de l’ennemi, et du coup d’œil et de l’intelligence des personnes chargées de la direction des opérations militaires. Afin de mieux éclairer cette dernière question, il ne négligea rien pour s’initier aux détails de l’administration et pour lire dans le jeu des généraux qui avaient voix au chapitre.

Pendant le séjour de l’Empereur à Vilna, l’armée avait été divisée en trois corps : le premier fut placé sous le commandement de Barclay de Tolly, le second sous celui de Bagration, le troisième sous celui de Tormassow. L’Empereur se trouvait avec le premier, sans y remplir toutefois les fonctions de commandant en chef, et l’ordre du jour annonçait sa présence, sans ajouter le moindre commentaire. Il n’avait avec lui aucun état-major spécial, mais seulement l’état-major du quartier général impérial, dont le chef était le général quartier-maître prince Volkonsky, et qui était composé d’une foule de généraux, d’aides de camp, de fonctionnaires civils pour la partie diplomatique et d’un grand nombre d’étrangers : par le fait, il n’existait donc pas d’état-major de l’armée. On voyait, auprès de la personne de l’Empereur, Araktchéïew, l’ex-ministre de la guerre, le Comte Bennigsen le doyen des généraux, le césarévitch grand-duc Constantin, le chancelier Comte Roumiantzow, Stein, l’ancien ministre de Prusse, Armfeld général suédois, Pfuhl, le principal organisateur du plan de campagne, Paulucci, général aide de camp, un réfugié sarde, Woltzogen, et plusieurs autres. Quoiqu’ils fussent tous attachés à Sa Majesté sans mission particulière, ils avaient cependant une telle influence, que le commandant en chef lui-même ne savait souvent de qui émanait le conseil reçu, ou l’ordre donné sous forme d’insinuation, par Bennigsen, par le grand-duc ou par tout autre ; s’ils parlaient de leur propre chef, ou s’ils ne faisaient que transmettre la volonté impériale, et en définitive