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Nulle part la solennité de ce jour ne se traduisait aussi visiblement que sur la figure large et pleine, et habituellement sérieuse, de la maîtresse de la maison.

Lorsqu’après la messe on eut servi le café dans le salon, dont les meubles étaient débarrassés de leurs housses, on vint lui annoncer que sa voiture était avancée ; drapée dans son châle des grands jours de fête, elle se leva et annonça qu’elle allait faire une visite au vieux prince Bolkonsky, afin de s’expliquer avec lui à propos de Natacha.

Bientôt après, Mme Aubert Chalmé, la fameuse couturière, vint essayer des robes à cette dernière, qui, acceptant avec joie cette diversion, se retira avec elle dans sa chambre. Au moment où, la tête penchée en arrière, elle examinait dans la psyché le dos du corsage, qui était seulement faufilé et sans manches, elle entendit la voix de son père et celle d’une dame, qu’elle reconnut, non sans une vive émotion : c’était la voix d’Hélène. Elle n’avait pas eu encore le temps de passer sa robe, que la porte s’ouvrit, et que la comtesse Besoukhow entra, plus souriante que jamais, vêtue d’une robe de velours violet à larges revers :

« Ah ! ma charmante, ma toute belle ! s’écria-t-elle, je suis venue pour dire à votre père que c’est vraiment incroyable d’être ici, et de ne voir âme qui vive… Aussi j’insiste pour que vous veniez chez moi ce soir… J’aurai quelques personnes, Mlle Georges déclamera…, et si vous ne m’amenez pas vos jolies filles, ajouta-t-elle en s’adressant au comte, qui venait d’entrer sur ses talons, je me brouillerai tout à fait avec vous. Mon mari est parti pour Tver ; sans cela, je l’aurais envoyé vous chercher… Sans faute, n’est-ce pas ?… sans faute, vers les neuf heures ? » Puis, saluant d’un signe de tête la couturière, qu’elle connaissait de longue date, et qui lui répondit par une profonde révérence, elle s’assit dans un fauteuil près de la glace, et, tout en donnant aux plis de sa belle robe un tour plein de grâce, elle continua à bavarder avec la plus affectueuse cordialité, à s’extasier sur la beauté de Natacha, à admirer ses nouvelles toilettes, à faire ressortir la sienne, et finit par lui conseiller d’en commander une pareille à celle qu’elle venait de recevoir de Paris : « Figurez-vous, ma charmante, qu’elle est en gaze à reflets métalliques… Mais peu importe !… vous embellissez tout ce que vous portez ! »

La figure de Natacha rayonnait de plaisir : elle se sentait renaître et recevait avec bonheur les éloges de cette aimable com-