Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas raison et empoignait déjà le renard… alors je les ai roulés tous deux ! Voici la bête proprement ficelée !… Et de cela, en veux-tu ? » ajouta-t-il d’un air farouche, en tirant son couteau ; il s’imaginait sans doute avoir encore affaire à son adversaire.

Nicolas, se tournant vers Natacha et Pétia, qui venaient de le rejoindre, les pria de l’attendre pendant qu’il irait tirer l’affaire au clair.

Le chasseur triomphant racontait à ses camarades, pleins d’une curiosité sympathique, tous les détails de son exploit.

Ilaguine, qui était en froid et même en procès avec les Rostow, chassait précisément ce jour-là sur les terres réservées par un long usage à ces derniers, et, comme par un fait exprès, il s’était dirigé vers le bois du rendez-vous, en permettant même à son chasseur de suivre les voies de la bête que les Rostow avaient levée.

Toujours extrême dans ses jugements et dans ses sentiments, Nicolas, qui ne l’avait jamais vu, mais qui tenait pour certains les actes de violence et d’arbitraire attribués à Ilaguine le détestait cordialement, le regardant comme son plus mortel ennemi, il se dirigeait vers lui, serrant avec colère son fouet dans sa main, prêt à en venir sans réflexion aux dernières extrémités.

À peine avait-il tourné le bois, qu’il vit venir à sa rencontre un gros cavalier coiffé d’un bonnet garni de castor, monté sur un beau cheval noir et suivi de deux écuyers : c’était Ilaguine en personne.

Au lieu de l’ennemi qu’il s’attendait à affronter, Nicolas trouva un voisin fort aimable, fort bien élevé et très désireux de faire sa connaissance, soulevant à demi son bonnet, Ilaguine lui exprima tous ses regrets de la querelle survenue entre leurs hommes, lui jura que son chasseur serait sévèrement puni pour avoir chassé avec une meute qui ne lui appartenait pas, et finit par lui proposer de chasser sur ses propres terres.

Natacha, fort inquiète, et craignant que cet entretien ne prit une mauvaise tournure avait suivi son frère de loin, elle se rapprocha en voyant les saluts qu’on échangeait de part et d’autre, Ilaguine, se découvrant tout à fait devant elle, se récria sur sa grâce, et assura qu’elle était la vivante image de Diane, tant par son amour de la chasse, que par sa beauté.

Pour se faire pardonner l’infraction commise par son piqueur, il supplia instamment Rostow de venir lancer le