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« Le terme est arrivé ! disait un vieux prêtre assis à côté d’une dame qui l’écoutait avec vénération… Le terme est arrivé ! Aller plus loin est impossible !

— N’est-ce pas trop tard pour l’extrême-onction ? demanda sa voisine, feignant de ne point savoir à quoi s’en tenir là-dessus.

— C’est un bien grand sacrement, » répondit le serviteur de l’Église, et, passant doucement la main sur son front chauve, il ramena en avant quelques rares mèches de cheveux gris.

« Qui était-ce donc ? Le général en chef ? demandait-on à l’autre bout de la chambre… Comme il est encore jeune !

— Et il est à la veille de ses soixante-dix ans !… On dit que le comte n’a plus sa tête… Il était question de lui donner l’extrême-onction…

— J’ai connu quelqu’un qui l’a reçue sept fois. »

La seconde des nièces du comte Besoukhow venait de quitter son oncle. Elle avait les yeux rouges ; elle alla s’asseoir à côté du docteur Lorrain, qui était gracieusement accoudé sous le portrait de l’impératrice Catherine.

« Il fait véritablement beau, princesse, très beau, lui dit le médecin… on pourrait en vérité se croire à la campagne, bien qu’on soit à Moscou !

— N’est-ce pas ? répondit la demoiselle avec un soupir… Me permettez-vous de lui donner à boire ? »

Le médecin parut réfléchir :

« A-t-il pris la potion ?

— Oui. »

Il regarda son « Bréguet » :

« Prenez un verre d’eau cuite et mettez-y une pincée (faisant le geste de ses doigts fluets) de… de crème de tartre.

« Che ne gonnais bas de gas où l’on reste en fie abrès le droisième goup, disait un médecin allemand à un aide de camp.

— Quel homme robuste c’était ! répondit son interlocuteur… À qui reviennent toutes ses richesses ? ajouta-t-il tout bas.

— Il se drouvera pien un amadeur, » reprit l’Allemand avec un gros sourire.

La porte s’ouvrit de nouveau. Tout le monde regarda : c’était la seconde princesse qui, après avoir préparé la tisane, entrait chez le malade.

Le médecin allemand s’approcha de Lorrain.

« Il bourra pien drainer engore jusqu’au madin. »