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Sonia pleurait sans retirer sa main. Natacha, clouée à sa place, retenait sa respiration ; ses yeux brillaient.

« Qu’est-ce qui va se passer ? pensa-t-elle.

— Sonia, le monde entier n’est rien pour moi : toi seule tu es tout, et je te le prouverai !

— Je n’aime pas que tu parles à… dit Sonia.

— Eh bien ! je ne le ferai plus, pardonne-moi !… »

Et, l’attirant à lui, il l’embrassa.

« Ah ! voilà qui est bien ! » se dit Natacha.

Nicolas et Sonia quittèrent la serre ; elle les suivit à distance jusqu’à la porte et appela Boris.

« Boris, venez ici, dit-elle d’un air important et mystérieux. J’ai à vous dire quelque chose. Ici, ici !… »

Et elle l’amena jusqu’à sa cachette entre les fleurs. Boris obéissait en souriant :

« Qu’avez-vous à me dire ? »

Elle se troubla, regarda autour d’elle, et, ayant aperçu sa poupée qui gisait abandonnée sur une des caisses, elle s’en empara et la lui présenta :

« Embrassez ma poupée ! »

Boris ne bougeait pas et regardait sa petite figure animée et souriante.

« Vous ne le voulez pas ? Eh bien, venez, par ici… »

Et, l’entraînant tout au milieu des arbres, elle jeta sa poupée.

« Plus près, plus près ! » dit-elle en saisissant tout à coup le jeune homme par son uniforme.

Et, rougissante d’émotion et prête à pleurer, elle murmura :

« Et moi, m’embrasserez-vous ? »

Boris devint pourpre.

« Comme vous êtes étrange ! » lui dit-il.

Et il se penchait indécis au-dessus d’elle.

S’élançant d’un bond sur une des caisses, elle entoura de ses deux petits bras nus et grêles le cou de son compagnon, et, rejetant ses cheveux en arrière, elle lui appliqua un baiser sur les lèvres ; puis, s’échappant aussitôt et se glissant rapidement à travers les plantes, elle s’arrêta de l’autre côté, la tête penchée.

« Natacha, je vous aime, vous le savez bien, mais…

— Êtes-vous amoureux de moi ?

— Oui, je le suis. Mais, je vous en prie, ne recommençons plus…, ce que nous venons de faire… Encore quatre ans… alors je demanderai votre main… »