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du petit bonhomme d’un an, le prince Nicolas, comme l’appelait son grand-père ; l’enfant lui souriait et se laissait porter par lui. Mlle Bourrienne et l’architecte suivaient d’un air radieux ses conversations avec le vieux prince. Celui-ci avait assisté au souper, c’était une faveur marquée pour Pierre, et son amabilité ne se démentit pas un instant, pendant les deux jours que son hôte passa à Lissy-Gory.

Lorsque la famille se réunit après son départ, et que, par une conséquence naturelle de sa visite, on se mit à analyser son caractère, tous, chose bien rare, s’unirent pour en faire l’éloge et pour exprimer la sympathie qu’il leur avait inspirée.


XV

Rostow, de retour après son congé, sentit, pour la première fois, la force des liens qui l’attachaient à Denissow et à son régiment.

À la vue du premier hussard à l’uniforme déboutonné, à la vue de Dementiew le roux, à la vue des piquets de chevaux alezans, et enfin à la vue de Lavrouchka criant joyeusement à son maître : « Le comte est arrivé ! » à l’embrassade de Denissow, ébouriffé, endormi, sortant en hâte de sa hutte, et à l’accolade de ses camarades, Rostow éprouva la même sensation qu’à son arrivée à la maison paternelle, lorsque son père, sa mère, ses sœurs l’avaient étouffé de baisers ; et des larmes de joie, lui montant au gosier, l’empêchèrent de parler.

Après s’être présenté au chef du régiment, en avoir reçu les mêmes fonctions dans le même escadron, après s’être enquis des moindres détails, il trouva dans cet adieu à sa liberté et dans le devoir qu’il remplissait en reprenant sa place dans ce cadre étroit, le même sentiment de quiétude et d’appui moral qu’il aurait eu dans sa propre famille ; car le régiment, au bout du compte, n’était-il pas devenu pour lui un home aussi cher que la maison paternelle ? Il n’y avait pas là ce tohu-bohu du monde, qui l’entraînait parfois à des erreurs regrettables ; il n’y avait pas Sonia, avec laquelle il ne savait jamais s’il fallait ou non s’expliquer ; il n’y avait plus la possibilité de