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aime bien et, je vous en supplie, ne vous moquez pas des « miens ». Une fois les premiers compliments échangés, elle les engagea à s’asseoir.

« Ah ! voilà Ivanouchka, dit le prince André, en indiquant d’un sourire le jeune néophyte.

— André ! murmura la princesse d’un ton suppliant.

— Il faut que vous sachiez que c’est une femme, dit le prince André.

— André, au nom du ciel ! » reprit sa sœur.

On voyait que les vaines supplications de la princesse Marie et les plaisanteries du prince André au sujet des pèlerins étaient chose habituelle entre eux.

« Mais, ma bonne amie, vous devriez au contraire m’être reconnaissante d’expliquer à Pierre votre intimité avec ce jeune homme.

— Vraiment ! » dit Pierre avec curiosité, mais cependant d’un ton grave, qui acheva de lui gagner le cœur de la princesse Marie.

Leur bienfaitrice se préoccupait bien à tort pour « les siens », car ceux-ci n’éprouvaient aucune gêne. La petite vieille, après avoir renversé sa tasse sur sa soucoupe à côté du morceau de sucre tout grignoté, se tenait immobile et les yeux baissés sur son fauteuil, en jetant à droite et à gauche des regards sournois, et en attendant l’offre d’une nouvelle tasse. Ivanouchka buvait à petites gorgées le thé qui remplissait sa soucoupe, et regardait en dessous les deux jeunes gens, de ses yeux qui exprimaient la ruse féminine.

« Où as-tu été ? à Kiew ? demanda le prince André.

— J’y ai été, mon père, répondit la petite vieille. C’est à Noël que je me suis rendue digne de recevoir, chez les saints, la sainte et céleste communion ; maintenant je viens de Koliasine. Une grande grâce s’y est révélée !

— Et Ivanouchka est avec toi ?

— Non, je suis seule, répondit Ivanouchka, en s’efforçant de prendre une voix de basse. Nous ne nous sommes rencontrées qu’à Youknow avec Pélaguéïouchka… »

Celle-ci, ne se possédant pas du désir de raconter ce qu’elle avait vu, l’interrompit :

« Oui, mon père, une grande grâce s’est révélée à Koliasine !

— Quoi donc ? de nouvelles reliques ? demanda le prince André.

— Voyons, André !… Ne lui raconte rien, Pélaguéïouchka.