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lèvres sur la peau de l’enfant, ainsi qu’il l’avait vu faire à sa sœur, pour se rendre compte du degré de chaleur, il sentit la moite humidité de son petit front et de ses petits cheveux tout mouillés, et il reconnut à cette abondante transpiration que non seulement il n’était pas mort, mais que cette crise salutaire amènerait une prompte guérison. Il aurait voulu saisir, et serrer contre sa poitrine ce petit être faible ; il ne l’osa pas, mais ses yeux attendris suivaient le contour de sa petite tête, de ses petites mains, de ses petits pieds, qui se dessinaient sous la couverture. Un frôlement de robe se fit entendre, et une ombre apparut à côté de lui. C’était la princesse Marie, qui, soulevant le rideau, le laissa retomber derrière elle. Son frère, écoutant toujours la respiration de l’enfant, ne se retourna pas, mais lui tendit la main, qu’elle serra fortement :

« Il est en transpiration…

— J’allais te le dire, » répondit sa sœur.

L’enfant remua dans son sommeil, sourit, et frotta son petit front contre l’oreiller.

Le prince André regarda sa sœur, dont les yeux lumineux brillaient de larmes de joie dans la pénombre de la draperie. Elle attira son frère vers elle au-dessus du berceau pour l’embrasser ; ayant involontairement accroché un peu le rideau, ils furent pris de la crainte de réveiller le petit malade, et restèrent ainsi quelques instants dans cette demi-obscurité, séparés tous les trois du monde entier. Le prince André fut le premier à se retirer, et retrouvant avec peine son chemin au travers des plis du rideau, il se dit en soupirant : « Oui, c’est tout ce qui me reste ! »

X

Pierre emportait avec lui de Pétersbourg des instructions complètes, écrites par ses nouveaux frères, pour le guider dans les différentes mesures qu’il méditait de prendre au sujet de ses paysans.

Arrivé à Kiew, il y réunit les intendants de toutes les terres qu’il possédait dans ce gouvernement, et leur fit part de ses intentions et de ses désirs. Il leur déclara qu’il allait incontinent prendre ses dispositions pour libérer ses paysans du servage. En attendant, il fallait leur venir en aide et ne pas les