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« Mon ami, dit à son frère la princesse Marie debout à côté du lit, attends un peu, cela vaudra mieux.

— Laisse-moi donc tranquille, tu ne sais ce que tu dis… tu n’as fait qu’attendre, et voilà ce qui en est résulté, dit-il tout bas avec aigreur.

— Mon ami, attends, je t’en prie, il s’est endormi. »

Le prince André se leva et s’arrêta indécis, la potion à la main.

« Vaudrait-il vraiment mieux attendre ? dit-il.

— Fais comme tu voudras, André, mais je crois que cela vaudrait mieux, » répondit sa sœur, un peu embarrassée de la légère concession que lui faisait son frère.

C’était la seconde nuit qu’ils veillaient l’enfant, malade d’une forte fièvre. Leur confiance dans le médecin habituel de la maison étant fort limitée, ils en avaient envoyé chercher un autre à la ville voisine et essayaient, en l’attendant, différents remèdes. Fatigués, énervés et inquiets, leurs préoccupations se trahissaient par une irritation involontaire.

« Pétroucha vous attend, » reprit la fille de chambre.

Il sortit pour recevoir les instructions verbales que son père lui faisait transmettre, et rentra avec des lettres et des papiers.

« Eh bien ?

— C’est toujours la même chose, mais prends patience : Carl Ivanitch assure que le sommeil est un signe de guérison. »

Le prince André s’approcha de l’enfant et constata qu’il avait la peau brûlante.

« Vous n’avez pas le sens commun, vous et votre Carl Ivanitch ! » Et, prenant la potion préparée, il se pencha au-dessus du berceau, pendant que la princesse Marie le retenait en le suppliant :

« Laisse-moi, dit le prince avec impatience… Eh bien, soit, donne-la-lui, toi ! »

La princesse Marie lui prit le verre des mains et, appelant la vieille bonne à son aide, essaya de faire boire l’enfant, qui se débattit en criant et en s’étranglant. Le prince André, se prenant la tête entre les mains, alla s’asseoir sur un canapé dans la pièce voisine.

Il décacheta machinalement la lettre de son père, qui, de sa grosse écriture allongée, lui écrivait ce qui suit sur une feuille de papier bleu :

« Si l’heureuse nouvelle que je viens de recevoir à l’instant