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« Venez dîner demain… le soir… Il faut que vous veniez… venez !… »

Et voilà comment Boris devint l’intime de la comtesse pendant son premier séjour à Pétersbourg.


VIII

La guerre se rallumait et se rapprochait de plus en plus des frontières russes. On n’entendait de tous côtés que des anathèmes contre Bonaparte, l’ennemi du genre humain. Dans les villages, où arrivaient à tout moment du théâtre de la guerre les nouvelles les plus invraisemblables et les plus contradictoires, on rassemblait les recrues et les soldats.

À Lissy-Gory, l’existence de chacun avait grandement changé depuis l’année précédente.

Le vieux prince avait été nommé l’un des huit chefs de la milice désignés pour toute la Russie. Malgré son état de faiblesse, aggravé par l’incertitude dans laquelle il était resté pendant plusieurs mois sur le sort de son fils, il crut de son devoir d’accepter ce poste que lui avait confié l’Empereur lui-même, et cette activité toute nouvelle lui rendait ses anciennes forces. Il passait tout son temps en courses dans les trois gouvernements qui étaient de son ressort. Rigoureux dans l’accomplissement de ses devoirs, il était d’une sévérité presque cruelle avec ses subordonnés, et descendait jusqu’aux moindres détails. Sa fille ne prenait plus de leçons de mathématiques ; mais tous les matins, accompagnée de la nourrice qui portait le petit prince Nicolas (comme l’appelait le grand-père), elle venait le voir dans son cabinet. L’enfant occupait, avec sa nourrice et la vieille bonne Savichnia, les appartements de sa mère ; c’est là que la princesse Marie, lui servant de mère, passait la plus grande partie de sa journée. Mlle Bourrienne semblait aussi s’être passionnément attachée au petit garçon, et la princesse Marie s’en reposait parfois sur elle pour soigner et pour amuser leur petit ange.

On avait fait élever dans l’église de Lissy-Gory une chapelle sur la tombe de la princesse, et, sur cette tombe, un ange en marbre blanc déployait ses ailes. On aurait dit vraiment que l’ange, dont la lèvre supérieure était un peu relevée, se préparait à sourire ; aussi le prince André et sa sœur furent