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— Non, non ! s’écria la petite princesse, dont la pâle figure exprima non seulement une souffrance physique, mais encore une terreur d’enfant, à l’idée des douleurs inévitables dont elle avait le pressentiment.

— Non, c’est l’estomac… dites que c’est l’estomac, Marie, dites, dites… » Et elle pleurait comme pleurent les enfants capricieux et malades en se tordant les mains avec désespoir et en s’écriant : « Mon Dieu, mon Dieu ! »

La princesse Marie courut chercher la sage-femme qu’elle rencontra à mi-chemin.

« Marie Bogdanovna ! C’est commencé, je crois, dit-elle, les yeux agrandis par la terreur.

— Eh bien, tant mieux, princesse, répondit la sage-femme sans hâter le pas, et en se frottant les mains de l’air assuré d’une personne qui connaît sa valeur… Il est inutile que vous sachiez ça, vous autres demoiselles.

— Et le docteur qui n’est pas encore arrivé de Moscou ! dit la princesse, car, selon le désir du prince André et de sa femme, on y avait envoyé chercher un accoucheur.

— Cela ne fait rien, princesse, ne vous tourmentez pas, tout ira bien, même sans le docteur. »

Cinq minutes après, la princesse Marie entendit de sa chambre porter un objet très lourd. Elle regarda. C’était un divan en cuir du cabinet du prince André, que les gens transportaient dans la chambre à coucher, et elle remarqua que leur figure était empreinte d’un sentiment inusité de gravité et de douceur. La princesse Marie prêtait l’oreille à tous les bruits de la maison, ouvrait sa porte, regardait, inquiète, ce qui se passait dans le corridor. Quelques femmes allaient et venaient en silence et se détournaient à sa vue. N’osant pas les questionner, elle rentrait dans sa chambre, et tantôt se jetant dans son fauteuil, elle prenait son livre de prières, tantôt s’agenouillant devant les images, elle s’apercevait, avec surprise et chagrin, que la prière était impuissante à calmer son agitation. La porte s’ouvrit tout à coup, et sa vieille bonne, coiffée d’un large mouchoir, se montra sur le seuil. Prascovia Savischna ne venait chez elle que rarement : tel était l’ordre du vieux prince.

« C’est moi, Machinka, et j’ai apporté, mon ange, les bougies de leur mariage pour les allumer devant les saints, dit-elle en soupirant.

— Ah ! ma bonne, comme je suis contente.

— Le Seigneur est miséricordieux, ma petite colombe !… » Et