Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’au moment où le légitime propriétaire, effrayé, parvint à se le faire rendre. Mais, il faut le dire, tous ces défauts et toutes ces gaucheries étaient rachetés par sa bienveillance, sa candeur et sa modestie.

Mlle Schérer, se tournant vers lui, le salua comme pour lui octroyer son pardon, avec une mansuétude toute chrétienne.

« J’espère, lui dit-elle, avoir encore le plaisir de vous voir ; mais j’espère également, mon cher monsieur Pierre, que d’ici là vous aurez changé d’opinions. »

Il ne lui répondit rien ; mais, quand il lui rendit son salut, tous les assistants purent voir sur ses lèvres ce franc sourire qui avait l’air de dire : « Après tout, les opinions sont des opinions, et vous voyez que je suis un bon et brave garçon. » C’était si vrai que tous, y compris Mlle Schérer, le sentirent instinctivement.

Le prince André avait suivi dans l’antichambre sa femme et le prince Hippolyte, qu’il écoutait avec indifférence, en se faisant donner son manteau par un laquais. Le prince Hippolyte, le lorgnon dans l’œil, debout à côté de la gentille petite princesse, la regardait obstinément.

« Allez-vous-en, Annette, disait la jeune femme en prenant congé d’elle ; vous aurez froid ! C’est convenu ! » ajouta-t-elle tout bas.

Anna Pavlovna avait eu le temps de causer avec Lise du mariage projeté entre sa belle-sœur et Anatole :

« Je compte sur vous, ma chérie, répondit-elle également à voix basse. Vous lui en écrirez un mot, et vous me direz comment le père envisage la chose. Au revoir !… »

Et elle rentra au salon.

Le prince Hippolyte se rapprocha de la petite princesse et, se penchant au-dessus d’elle, lui parla de très près en chuchotant.

Deux laquais, le sien et celui de la princesse, l’un tenant un surtout d’officier, l’autre un châle, attendaient qu’il eût fini ce bavardage en français, qu’ils semblaient écouter, tout inintelligible qu’il fût pour eux, et même comprendre, sans vouloir le laisser paraître.

La petite princesse parlait, souriait et riait tout à la fois.

« Je suis enchanté de n’être pas allé chez l’ambassadeur, disait le prince Hippolyte. Quel ennui ! Charmante soirée, n’est-il pas vrai ? Charmante !

— On assure que le bal de ce soir sera très beau, repartit la