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Mais les fusils se turent. Arrivé au galop auprès de Bagration, il porta deux doigts à sa visière.

Dolgoroukow défendait toujours son opinion :

« Les Français se retiraient et n’avaient allumé leurs feux que pour nous tromper. Ils ont parfaitement pu se retirer et laisser des piquets.

— En tout cas, ils ne sont pas tous partis, Prince, dit Bagration. Nous ne le saurons que demain.

— Le piquet est sur la montagne, Excellence, et toujours là au même endroit, dit Rostow, sans pouvoir réprimer un sourire de satisfaction, causé par sa course et par le sifflement des balles.

— Bien, bien, dit Bagration, je vous remercie, monsieur l’officier.

— Excellence, dit Rostow, permettez-moi de…

— Qu’y a-t-il ?

— Notre escadron sera laissé dans la réserve, ayez la bonté de m’attacher au 1er escadron.

— Comment vous appelez-vous ?

— Comte Rostow.

— Ah ! c’est bien, bien ! Je te garde auprès de moi comme ordonnance.

— Vous êtes le fils d’Élie Andréïévitch, dit Dolgoroukow. Mais… »

Rostow, sans lui répondre, demanda au prince Bagration : « Puis-je alors espérer, Excellence ?…

— J’en donnerai l’ordre.

— Demain, qui sait, oui, demain on m’enverra peut-être porter un message à l’Empereur. Dieu soit loué ! » se dit-il.

Les cris et les feux de l’armée ennemie étaient causés par la lecture de la proclamation de Napoléon, pendant laquelle l’Empereur faisait lui-même à cheval le tour des bivouacs. Les soldats l’ayant aperçu, allumaient des torches de paille et le suivaient en criant : Vive l’Empereur ! L’ordre du jour contenant la proclamation de Napoléon venait de paraître ; elle était ainsi conçue :


« Soldats !

« L’armée russe se présente devant vous pour venger l’armée autrichienne d’Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrünn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu’ici.