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exprima l’irritation, et, se détournant, il longea l’autre côté du corridor.

« Qui est-ce ? demanda Boris.

— Un des hommes les plus remarquables et les plus antipathiques, à mon avis. C’est le ministre des affaires étrangères, le prince Adam Czartorisky… Ce sont ces hommes-là, dit le prince André avec un soupir qu’il ne put réprimer, qui décident du sort des nations ! »

Les troupes se mirent en marche le lendemain, et Boris, n’ayant revu ni Bolkonsky ni Dolgoroukow, pendant le temps qui s’écoula jusqu’à la bataille d’Austerlitz, fut laissé dans son régiment.


X

Le 16, à l’aube, l’escadron de Denissow, faisant partie du détachement du prince Bagration, quitta sa dernière étape pour gagner le champ de bataille, à la suite des autres colonnes ; mais, à la distance d’une verste, il reçut l’ordre de s’arrêter. Rostow vit défiler devant lui les cosaques, le 1er et le 2e escadron de hussards, quelques bataillons d’infanterie et de l’artillerie, les généraux prince Bagration, Dolgoroukow et leurs aides de camp. La lutte intérieure qu’il avait soutenue pour vaincre la terreur qui s’emparait de lui au moment de l’engagement, tous ses beaux rêves sur la façon dont il s’y distinguerait à l’avenir, s’évanouissaient en fumée, car son escadron fut laissé dans la réserve, et la journée s’écoula triste et ennuyeuse. À neuf heures du matin, il entendit au loin une fusillade, des cris, des hourras, il vit ramener quelques blessés et enfin, au milieu d’une centaine de cosaques, tout un détachement de cavalerie française ; si l’engagement, comme on le voyait, avait été court, il s’était du moins terminé à notre avantage ; officiers et soldats parlaient d’une brillante victoire, de la prise de Vischau et d’un escadron français fait prisonnier. Le temps était pur, un beau soleil réchauffait l’air après la légère gelée de la nuit, et le radieux éclat d’une belle journée d’automne, en harmonie avec la joie et l’expression du triomphe, se reflétait sur les traits des soldats, des officiers, des généraux et des aides de camp qui se croisaient en tous sens.