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tout nouvellement acheté à Denissow, passa le dernier de son escadron, seul et bien en vue.

Excellent cavalier, il éperonna vivement son cheval et le mit au grand trot. Abaissant sur son poitrail sa bouche écumante, la queue élégamment arquée, fendant l’air, rasant la terre, jetant haut et avec grâce ses jambes fines, Bédouin semblait sentir, lui aussi, que le regard de l’Empereur était fixé sur lui.

Le cavalier, de son côté, les jambes en arrière, la figure rayonnante et inquiète, le buste correctement redressé, ne faisait qu’un avec son cheval, et ils passèrent tous deux devant l’Empereur, dans toute leur beauté.

« Bravo les hussards de Pavlograd ! dit l’Empereur.

— Mon Dieu, que je serais heureux s’il voulait me dire là tout de suite de me jeter dans le feu ! » pensa Rostow.

La revue terminée, les officiers nouvellement arrivés et ceux de Koutouzow se formèrent en groupes et s’entretinrent des récompenses, des Autrichiens et de leurs uniformes, de Bonaparte et de sa situation critique, surtout lorsque le corps d’Essen les aurait rejoints et que la Prusse se serait franchement alliée à la Russie.

Mais c’était la personne même de l’empereur Alexandre qui faisait le fond de toutes les conversations : on se répétait chacun de ses mots, de ses mouvements, et l’enthousiasme allait toujours croissant.

On ne désirait qu’une chose : marcher à l’ennemi sous son commandement, car avec lui on était sûr de la victoire, et, après la revue, l’assurance de vaincre était plus forte qu’après deux victoires remportées.


IX

Le lendemain de la revue, Boris, ayant mis son plus bel uniforme, se rendit à Olmütz accompagné des vœux de Berg, pour profiter des bonnes dispositions de Bolkonsky. Une petite place bien commode, celle d’aide de camp près d’un personnage haut placé, était tout ce qu’il lui fallait.

« C’est bon pour Rostow, se disait-il, à qui son père envoie six mille roubles à la fois, de faire le dédaigneux et de traiter cela de service de laquais ; mais moi, qui n’ai rien que ma