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Le vieux prince s’assit à sa place habituelle dans le coin du canapé, et, après avoir offert un fauteuil au prince Basile, il l’entreprit sur la politique et les nouvelles du jour ; sans cesser de paraître l’écouter avec attention, il ne perdait pas de vue sa fille.

« Ah ! c’est ce qu’on écrit de Potsdam. »

Et, répétant les dernières paroles de son interlocuteur, il se leva et s’approcha d’elle :

« Est-ce pour les visiteurs que tu t’es ainsi parée ? belle, très belle, ma foi ! une nouvelle coiffure à leur intention !… Eh bien, alors je te défends, devant eux, de jamais te permettre à l’avenir de te pomponner sans mon autorisation.

— C’est moi, mon père, qui suis la coupable, dit la petite princesse en s’interposant.

— Vous avez, madame, tous les droits possibles de vous parer à votre guise, lui répondit-il en lui faisant un profond salut, mais elle n’a pas besoin de se défigurer : elle est assez laide comme cela !… »

Et il se rassit à sa place, sans s’occuper davantage de la princesse Marie, qui était prête à pleurer.

« Je trouve au contraire que cette coiffure va fort bien à la princesse, dit le prince Basile.

— Eh bien, dis donc, mon jeune prince… comment t’appelle-t-on ? Viens ici, causons et faisons connaissance.

— C’est maintenant que la farce va commencer, se dit Anatole en s’asseyant à côté de lui.

— Ainsi donc, mon bon, on vous a élevé à l’étranger ? Ce n’est pas comme nous, ton père et moi, auxquels un sacristain a enseigné à lire et à écrire !… Eh bien, dites-moi, mon ami, vous servez dans la garde à cheval à présent ? ajouta-t-il en le regardant fixement de très près.

— Non, j’ai passé dans l’armée, répondit Anatole, qui réprimait avec peine une folle envie de rire.

— Ah ! ah ! c’est parfait ! C’est donc que vous voulez servir l’Empereur et la patrie ? On est à la guerre… un beau garçon comme cela doit servir, doit servir… au service actif !

— Non, prince, le régiment est déjà en marche, et moi j’y suis attaché… — À quoi donc suis-je attaché, papa ? dit-il en riant à son père.

— Il sert bien, ma foi : il demande à quoi il est attaché ! ha ! ha ! »

Et le vieux prince partit d’un éclat de rire, auquel Anatole fit