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d’avance à ses combinaisons artistiques, vous allez voir ce que je vais produire. »

Katia apporta la robe ; la princesse Marie restait immobile devant la glace. Mlle Bourrienne remarqua que ses yeux étaient humides, que ses lèvres tremblaient, et qu’elle était prête à fondre en larmes.

« Voyons, chère princesse, encore un petit effort. »

La petite princesse, enlevant la robe à la femme de chambre, s’approcha de sa belle-sœur.

« Allons, Marie, nous allons faire cela bien gentiment, bien simplement. »

Et toutes trois riaient et gazouillaient comme des oiseaux.

« Non, laissez-moi ! »

Et sa voix avait une inflexion si sérieuse, si mélancolique, que le gazouillement de ces oiseaux s’arrêta court. Elles comprirent à l’expression de ces beaux yeux suppliants qu’il était inutile d’insister.

« Au moins changez de coiffure ! Je vous le disais bien, continua la princesse en s’adressant à Mlle Bourrienne, que Marie a une de ces figures auxquelles ce genre de coiffure ne va pas du tout, mais du tout ! Changez-la, de grâce !

— Laissez-moi, laissez-moi, tout cela m’est parfaitement égal. »

Ses compagnes ne pouvaient en effet s’empêcher de le reconnaître. La princesse Marie, parée de la sorte, était, il est vrai, plus laide que jamais, mais elles connaissaient la puissance de ce regard mélancolique, indice chez elle d’une décision ferme et résolue.

« Vous changerez tout cela, n’est-ce pas ? » dit Lise à sa belle-sœur, qui demeura silencieuse.

Et la petite princesse quitta la chambre. Restée seule, Marie ne se regarda pas dans la glace, et, oubliant de mettre une autre coiffure, elle resta complètement immobile. Elle pensait au mari, à cet être fort et puissant, doué d’un attrait incompréhensible, qui devait la transporter dans son monde à lui, complètement différent du sien, et plein de bonheur. Elle pensait à l’enfant, à son enfant semblable à celui de la fille de sa nourrice, qu’elle avait vu la veille. Elle le voyait déjà suspendu à son sein… son mari était là… il les regardait tendrement, elle et son enfant… « Mais tout cela est impossible ! je suis trop laide ! » pensa-t-elle.

« Le thé est servi, le prince va sortir de chez lui ! » lui cria tout à coup la femme de chambre, à travers la porte.