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dit-elle. On va venir annoncer que ces messieurs sont au salon, il faudra descendre, et vous ne faites pas un petit bout de toilette ? »

La petite princesse sonna aussitôt une femme de chambre et passa gaiement en revue la garde-robe de sa belle-sœur. La princesse Marie s’en voulait à elle-même de son émotion, comme d’un manque de dignité, et en voulait aussi à ses deux compagnes de trouver cela tout simple. Le leur reprocher, c’eût été trahir les sensations qu’elle éprouvait ; le refus de se parer aurait amené des plaisanteries et des conseils sans fin. Elle rougit, l’éclat de ses beaux yeux s’éteignit, sa figure se marbra, et, en victime résignée, elle s’abandonna à la direction de sa belle-sœur et de Mlle Bourrienne, qui toutes deux s’occupèrent, à qui mieux mieux, à la rendre jolie. La pauvre fille était si laide, qu’aucune rivalité entre elles n’était possible ; aussi déployèrent-elles toute leur science à l’habiller convenablement, avec la foi naïve des femmes dans la puissance de l’ajustement.

« Vraiment, ma bonne amie, cette robe n’est pas jolie, dit Lise en se reculant pour mieux juger de l’ensemble. Faites apporter l’autre, la robe massacat ! Il s’agit peut-être du sort de toute ta vie… Ah non ! elle est trop claire, elle ne te va pas. »

Ce n’était pas la robe qui manquait de grâce, mais bien la personne qu’elle habillait. La petite princesse et Mlle Bourrienne ne s’en rendaient pas compte, persuadées qu’un nœud bleu par-ci, une mèche de cheveux relevée par-là, qu’une écharpe abaissée sur la robe brune, remédieraient à tout. Elles ne voyaient pas qu’il était impossible de remédier à l’expression de ce visage effaré ; elles avaient beau en changer le cadre, il restait toujours insignifiant et sans attrait. Après deux ou trois essais, la princesse Marie, toujours soumise, se trouva tout à coup coiffée avec les cheveux relevés, ce qui la défigurait encore davantage, et vêtue de l’élégante robe massacat à écharpe bleue ; la petite princesse, en ayant fait deux fois le tour pour la bien examiner de tous les côtés et en arranger les plis, s’écria enfin avec désespoir :

« C’est impossible ! Non, Marie, décidément cela ne vous va pas ! Je vous aime mieux dans votre petite robe grise de tous les jours ; non, de grâce, faites cela pour moi !… Katia, dit-elle à la femme de chambre, apportez la robe grise de la princesse. Vous allez voir, dit-elle à Mlle Bourrienne, en souriant