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et parfumé avec ce soin et cette élégance qu’il apportait toujours aux moindres détails de sa toilette, portant haut sa belle tête avec une expression naturellement conquérante, il rentra chez son père, autour duquel s’agitaient deux valets de chambre. Le prince Basile salua son fils gaiement d’un signe de tête, comme pour lui dire :

« Tu es très bien ainsi !

— Voyons, mon père, sans plaisanterie, elle est tout simplement monstrueuse ? dit Anatole, en reprenant un sujet qu’il avait plus d’une fois abordé pendant le voyage.

— Pas de folies, je t’en prie, fais ton possible, et c’est là le principal, pour être respectueux et convenable envers le vieux.

— S’il me décoche des choses par trop désagréables, je m’en irai, je vous en avertis ; je les déteste, ces vieux !

— N’oublie pas que tout dépend de toi. »

En attendant, on connaissait déjà, du côté des femmes, non seulement l’arrivée du ministre et de son fils, mais les moindres détails sur leurs personnes. La princesse Marie, seule dans sa chambre, faisait d’inutiles efforts pour surmonter son émotion intérieure :

« Pourquoi ont-ils écrit ? Pourquoi Lise m’en a-t-elle parlé ? C’est impossible, je le sens !… »

Et elle ajoutait, en se regardant dans la glace :

« Comment ferai-je mon entrée dans le salon ? Je ne pourrai jamais être moi-même, même s’il me plaît ? »

Et la pensée de son père la remplissait de terreur. Macha avait déjà raconté à la petite princesse et à Mlle Bourrienne comment ce beau garçon, au visage vermeil et aux sourcils noirs, s’était élancé sur l’escalier comme un aigle, enjambant trois marches à la fois, tandis que le vieux papa traînait lourdement, clopin-clopant, un pied après l’autre.

« Ils sont arrivés, Marie, le savez-vous ? » lui dit sa belle-sœur, en entrant chez elle avec Mlle Bourrienne.

La petite princesse, dont la marche s’alourdissait de plus en plus, s’approcha d’un fauteuil et s’y laissa tomber : elle avait quitté son déshabillé du matin et avait mis une de ses plus jolies toilettes ; sa coiffure était soignée, mais l’animation de sa figure ne parvenait pas à cacher le changement de ses traits. Cette mise élégante le faisait au contraire ressortir davantage. Mlle Bourrienne, de son côté, avait fait des frais qui mettaient en relief les charmes de sa jolie personne.

« Eh bien, et vous restez comme vous êtes, chère princesse ?