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Un coup, un second, un troisième partirent, et les lignes ennemies se couvrirent de fumée : la fusillade recommença. Quelques hommes tombèrent de notre côté, entre autres l’officier qui s’était donné tant de mal pour défiler avec avantage devant ses chefs.

Au premier coup de fusil, Bagration avait crié hourra ! Un hourra prolongé lui répondit sur toute la ligne, et dépassant leurs chefs, se dépassant l’un l’autre, nos soldats s’élancèrent joyeusement à la poursuite des Français, dont les rangs s’étaient rompus.


XVIII

L’attaque du 6e chasseurs avait assuré la retraite du flanc droit. Au centre, l’incendie allumé à Schöngraben par la batterie oubliée de Tonschine arrêtait le mouvement des Français, qui éteignaient le feu propagé par le vent, et nous donnaient ainsi le temps de nous retirer ; la retraite du centre à travers le ravin se faisait avec bruit et précipitation, quoique sans désordre. Mais le flanc gauche, qui avait été attaqué en même temps et cerné par des forces supérieures sous le commandement de Lannes, composé des régiments d’infanterie d’Azow et de Podolie, était débandé. Bagration envoya Gerkow au général commandant le flanc gauche, avec ordre de se replier immédiatement.

Gerkow, les doigts à la hauteur de la visière, s’élança résolument au galop, mais il avait à peine quitté Bagration que son courage le trahit ; saisi d’une terreur folle, il lui fut impossible d’aller à l’encontre du danger ; sans avancer jusqu’à la fusillade, il se mit à chercher le général et les autres chefs là où ils ne pouvaient se trouver ; il en résulta que l’ordre ne fut pas transmis.

Le commandant du flanc gauche était, par ancienneté de grade, le chef du régiment que nous avons vu à Braunau et dans lequel servait Dologhow, tandis que le commandant de l’extrême gauche était le chef du régiment de Pavlograd, dont faisait partie Rostow. Les deux chefs, violemment irrités l’un contre l’autre, ce qui causa un malentendu, perdaient du temps en récriminations injurieuses, pendant qu’au flanc droit on se