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Puis, après un moment de silence :

« Je suis bien satisfait de vos bonnes nouvelles, quoique ce soit les payer un peu cher, par la mort de Schmidt ! Sa Majesté désirera sûrement vous voir, mais pas à présent. Je vous remercie, allez vous reposer et trouvez-vous demain sur le passage de Sa Majesté après la parade ; du reste je vous ferai prévenir. Au revoir !… Sa Majesté désirera sûrement vous voir elle-même, » répéta-t-il en le congédiant.

Lorsque le prince André eut quitté le palais, il lui sembla qu’il avait laissé derrière lui, entre les mains d’un ministre indifférent et de son aide de camp obséquieux, toute l’émotion et tout le bonheur que lui avait causés la victoire. La disposition de son esprit n’était plus la même, et la bataille ne se présentait plus à lui que comme un lointain, bien lointain souvenir.


IX

Le prince André descendit à Brünn chez une de ses connaissances russes, le diplomate Bilibine.

« Ah ! cher prince, rien ne pouvait m’être plus agréable, lui dit son hôte en allant à sa rencontre… Franz, portez les effets du prince dans ma chambre à coucher, ajouta-t-il en s’adressant au domestique qui conduisait Bolkonsky… Vous êtes le messager d’une victoire, c’est parfait ; quant à moi, je suis malade, comme vous le voyez. »

Après avoir fait sa toilette, le prince André rejoignit le diplomate dans un élégant cabinet, où il se mit à table devant le dîner qu’on venait de lui préparer, pendant que son hôte s’asseyait au coin de la cheminée.

Le prince André retrouvait avec plaisir, dans ce milieu, les éléments d’élégance et de confort auxquels il était habitué depuis son enfance, et qui lui avaient si souvent manqué dans ces derniers temps. Il lui était agréable, après la réception autrichienne, de pouvoir parler, non pas en russe, car ils causaient en français, mais avec un Russe, qui partageait, il fallait le supposer, l’aversion très vive qu’inspiraient généralement alors les Autrichiens.

Bilibine avait trente-cinq ans environ ; il était garçon, et