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— Elle doit être là où vous l’avez laissée, car je ne suis pas entré !

— Et je te dis qu’elle n’y est pas.

— C’est toujours la même histoire… vous oubliez toujours où vous mettez les choses… regardez dans vos poches.

— Mais non, te dis-je, puisque j’ai pensé au trésor… je me rappelle très bien que je l’ai mise là. »

Lavrouchka défit entièrement le lit, regarda partout, fureta dans tous les coins, et s’arrêta au beau milieu de la chambre, en étendant les bras avec stupéfaction. Denissow, qui avait suivi tous ses mouvements en silence, se tourna à ce geste vers Rostow :

« Voyons, Rostow, cesse de plaisanter ! »

Rostow, en sentant peser sur lui le regard de son ami, releva les yeux et les baissa aussitôt. Son visage devint pourpre et la respiration lui manqua.

« Il n’y a eu ici que le lieutenant et vous deux, donc elle doit y être ! dit Lavrouchka.

— Eh bien, alors, poupée du diable, remue-toi… cherche, s’écria Denissow devenu cramoisi, et le menaçant du poing : il, faut qu’elle se trouve, sans cela je te cravacherai… je vous cravacherai tous !… »

Rostow boutonna sa veste, agrafa son ceinturon et prit sa casquette.

« Trouve-la, te dis-je, continuait Denissow en secouant son domestique et en le poussant violemment contre la muraille.

— Laisse-le, Denissow, je sais qui l’a prise… »

Et Rostow se dirigea vers la porte, les yeux toujours baissés. Denissow, ayant subitement compris son allusion, s’arrêta et lui saisit la main :

« Quelle bêtise ! s’écria-t-il si fortement que les veines de son cou et de son front se tendirent comme des cordes. Tu deviens fou, je crois… la bourse est ici, j’écorcherai vif ce misérable et elle se retrouvera.

— Je sais qui l’a prise, répéta Rostow d’une voix étranglée.

— Et moi, je te défends… » s’écria Denissow.

Mais Rostow s’arracha avec colère à son étreinte.

« Tu ne comprends donc pas, lui dit-il, en le regardant droit et ferme dans les yeux, tu ne comprends donc pas ce que tu me dis ? Il n’y avait que moi ici ; donc, si ce n’est pas l’autre, c’est… et il se précipita hors de la chambre sans achever sa phrase.

— Ah ! que le diable t’emporte, toi et tout le reste ! »