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« Oh ! » fit le prince Basile avec un accent de reproche.

Et il se leva.

« C’est ridicule, voyons, lâchez-le, vous dis-je ! »

Catiche obéit ; mais comme son adversaire s’obstinait à garder le portefeuille :

« Et vous aussi, laissez-le ; voyons, je prends tout sur moi, je vais lui demander… cela vous satisfait-il ?

— Mais, prince, après ce grand sacrement, donnez-lui un instant de répit ! Quel est votre avis ? dit-elle à Pierre, qui contemplait, tout ahuri, le visage enflammé de Catiche et les joues tremblotantes du prince Basile.

— Rappelez-vous que vous êtes responsable des conséquences, répondit sèchement ce dernier, vous ne savez ce que vous faites.

— Horrible femme ! » s’écria tout à coup Catiche, en se jetant sur elle et en lui arrachant enfin le portefeuille.

Le vieux prince baissa la tête, et ses bras retombèrent le long de son corps.

Au même moment, la porte mystérieuse qui s’était si souvent ouverte et refermée avec précaution pendant cette longue nuit s’ouvrit avec fracas, et livra passage à la seconde des nièces, qui, les mains jointes, affolée de terreur, se précipita au milieu d’eux :

« Que faites-vous, balbutia-t-elle avec désespoir ; il se meurt, et vous m’abandonnez toute seule ! »

Catiche laissa échapper le portefeuille ; la princesse Droubetzkoï, se penchant vivement, le ramassa et s’enfuit.

Le prince Basile et la princesse Catiche, une fois revenus de leur stupeur, la suivirent dans la chambre à coucher. Catiche reparut bientôt ; sa figure était pâle, sa physionomie dure et sa lèvre inférieure fortement pincée. À la vue de Pierre, ses sentiments de malveillance éclatèrent :

« Oui, jouez votre comédie, jouez-la… Vous vous y attendiez !… »

Ses sanglots l’arrêtèrent, et elle s’éloigna en se cachant la figure.

Le prince Basile revint à son tour. À peine avait-il atteint le canapé occupé par Pierre, qu’il s’y laissa tomber comme s’il allait se trouver mal ; il était livide, sa mâchoire tremblait, ses dents claquaient comme s’il avait la fièvre.

« Ah ! mon ami, » dit-il en saisissant les bras de Pierre.

Pierre fut frappé de la sincérité de son accent et de la faiblesse de sa voix : c’était chose nouvelle pour lui !