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machine, dans la mer lointaine, sans qu’aucune nécessité ou utilité compense les tourments, les efforts, les souffrances et la mort dont ils ont été victimes.

En 1830, pendant la guerre polonaise, l’aide de camp Vilejinski, envoyé de la part de Khlopitzki à Pétersbourg, dans sa conversation (en français) avec le maréchal Dibitch, à la condition posée par celui-ci de laisser les troupes russes entrer en Pologne, répondit :

— Monsieur le maréchal, je crois que de cette manière, il est de toute impossibilité que la nation polonaise accepte ce manifeste…

— Croyez-moi, l’Empereur ne fera pas de concessions.

— Je prévois donc qu’il y aura guerre malheureusement, qu’il y aura bien du sang répandu, bien des malheureuses victimes.

— Ne croyez pas cela ; tout au plus dix mille hommes qui périront des deux côtés, et voilà tout.

« Tis mille hommes et foilà tout », dit Dibitch avec son accent allemand, tout à fait convaincu que lui, avec un autre homme aussi cruel et aussi étranger que lui à la vie russe et polonaise, l’empereur Nicolas, a tout droit de conduire ou non à la mort des dizaines, des centaines de mille Russes et Polonais. En lisant ces lignes, on ne croit pas que cela ait pu se