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vieillard. Cela te semble seulement que tu n’es pas Lahilié et que Lahiliè n’est pas toi.

— Comment, il me semble ! dit le roi. Je suis couché là, sur un lit moelleux, entouré d’esclaves dociles et demain comme aujourd’hui je m’amuserai avec mes amis, tandis que Lahilié est maintenant dans une cage comme un oiseau, et demain, la langue pendante, il sera empalé, et se recroquevillera jusqu’à ce qu’il en meure et que son corps soit dévoré par les chiens.

— Tu ne peux ôter la vie, dit le vieux.

— Comment ! et ces quatorze mille guerriers que j’ai tués, dont j’ai fait une montagne de cadavres. Moi je suis vivant et eux n’existent plus. Alors je puis ôter la vie !

— Pourquoi sais-tu qu’ils n’existent plus ?

— Parce que je ne les vois pas. Et surtout ils ont été torturés, et moi non. Ils souffraient et moi je me sens bien.

— Cela aussi te semble seulement. Tu as torturé toi-même et non eux.

— Je ne comprends pas, dit le roi.

— Veux-tu comprendre ?

— Oui.

— Approche-toi ici, dit le vieillard, en montrant au roi la piscine pleine d’eau.

Le roi se leva et s’approcha de la Piscine.

— Entre dans la piscine.