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geait un peu. Il achetait lui-même son vin et l’enfermait dans l’armoire de sa chambre. Il négligeait ses affaires et quand il s’en occupait il cachait toujours aux siens ses gains et ses recettes.

La fortune, l’argent, qui auparavant lui donnaient tant de joie, maintenant ne lui causaient que du souci. Il tâchait de le mettre à l’abri de la convoitise des autres, mais il sentait bien qu’on ne peut défendre un trésor contre des hommes sans Dieu, comme il était lui-même.

Il sentait que si tous savaient comme lui et son fils, qu’il n’y a ni Dieu, ni jugement, aucune précaution ne le garantirait, qu’on le tuerait, qu’on l’empoisonnerait, qu’on lui arracherait sa fortune par la ruse ou la force. Il n’y avait qu’un seul salut, ne pas montrer aux hommes qu’il savait qu’il n’y a ni Dieu, ni jugement, mais, au contraire, leur faire croire le plus possible à l’existence de Dieu et au jugement.

Aussi — autre changement — après le 12 août, Trofine se montra-t-il extraordinairement pieux, plus pieux qu’il n’avait été de toute sa vie. Il ne passait pas un seul jeûne du mercredi et du vendredi ; il ne manquait pas une seule messe ; jamais il ne laissait échapper l’occasion d’inspirer à sa famille, à ses connaissances : à ses domestiques ; qu’il y a un Dieu et