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du crime et lui assura que là-bas, à minuit, Dieu lui dirait quel châtiment lui était réservé. Trokim s’y rendit et, à minuit, une voix lui dit : « Je te punirai dans quarante ans. »

Il revint auprès de Vassa, lui raconta ce qu’il avait entendu et, comme ils avaient quarante ans devant eux, ils se marièrent. Après leur mariage ils allèrent s’établir dans une grande ville. Trokim fit du commerce, acquit une grande fortune et prit les noms de Trofine Sémionovitch Iachnikov. Sa femme qui voulait faire un pèlerinage à Kiev pour demander à Dieu le pardon de son mari, remettait ce voyage de jour en jour et enfin mourut sans l’accomplir.

Trofine se remaria ; sa fortune augmentait d’année en année.

Vingt ans s’étaient écoulés. Souvent le remords torturait Trofine. Il résolut de se confesser à l’archevêque et lui raconta tout. L’archevêque le rassura, en lui disant que malgré l’énormité du crime, il l’avait racheté par vingt années de travail et de probité et que s’il faisait construire une belle église, Dieu lui pardonnerait. Il fit bâtir l’église.

Ses affaires étaient prospères ; il possédait des maisons et des mines d’or ; sa fille épousa un prince ; son fils Alexandre fit une brillante carrière dans la diplomatie. Il semblait le plus heureux des hommes.

Mais la fatale quarantième année était venue. Il attendait avec effroi le châtiment qui allait le frapper. Pour oublier, il alla chez des amis, il se confessa et même il fut sur le point de tout avouer à son fils. Celui-ci ne voulut rien savoir, déclarant à son père qui lui parlait du châtiment de Dieu, qu’il n’y a pas de Dieu. Enfin le terrible quarantième anniversaire du crime passa sans incident, le vieillard se crut délivré de toute punition.