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venir. Une seule chose me console, c’est qu’en vivant mal, je ne me trompai pas, ne me justifiai pas, et je ne me suis jamais dit que je peux me débarrasser de ce travail parce que j’écris des livres, mais j’ai toujours reconnu ce que vous dites. S’il m’est nécessaire de lire un bon livre, c’est aussi nécessaire à celui qui travaille pour moi ; de même, si je puis écrire un bon livre, il y a des centaines et des milliers de gens qui en écriraient de meilleurs s’ils n’étaient accablés de travail.

Ainsi, non seulement je ne suis pas en désaccord avec vous, mais plus que jamais, sentant ma faute et en souffrant, je reconnais l’importance fondamentale de la négation du droit de jouir du travail forcé d’un autre.

En pensant à vous, et entendant parler de vous, j’ai compris tout ce qu’a de pénible votre situation et, en même temps, je n’ai cessé de vous envier. Ne vous attristez pas, cher ami : « Celui qui souffrira jusqu’à la fin sera sauvé » se rapporte précisément à votre situation. Je pense qu’aucune situation ne peut empêcher de penser juste (ce que je vois d’après votre lettre), seuls l’oisiveté et le luxe empêchent de penser bien, et je le sens souvent pour moi-même.

Quelque étrange et mauvais que puisse paraître que moi, qui vis dans le luxe, me per-