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les autres plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. Le monde entier serait heureux, si les êtres ne s’aimaient pas eux-mêmes, mais aimaient les autres.

Je suis un être humain, et la raison me donne la loi du bonheur de tous les êtres. Il faut que je suive la loi de ma raison, — que j’aime les autres plus que je m’aime moi-même.

L’homme n’a qu’à faire ce raisonnement pour que la vie se présente à lui tout d’un coup sous un tout autre aspect qu’elle ne se présentait auparavant. Les êtres se détruisent ; mais les êtres s’aiment et s’entr’aident. La vie n’est pas soutenue par la destruction, mais par la réciprocité des êtres qui se traduit dans mon cœur par le sentiment de l’amour. Depuis que j’ai pu entrevoir la marche du monde, je vois que ce n’est que le principe de la réciprocité qui produit le progrès de l’humanité. Toute l’histoire n’est autre chose que la conception de plus en plus claire et l’application de cet unique principe de la solidarité de tous les êtres. Le raisonnement se trouve corroboré par l’expérience de l’histoire et par l’expérience personnelle.