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paysans et d’ouvriers, et où l’on vous ordonnera de tirer sur eux. Et alors s’il est resté en vous quelque chose d’humain, vous devrez refuser d’obéir et à cause de cela, vous serez forcé de quitter le service.

Je sais qu’il y a encore beaucoup d’officiers de tous grades qui sont tellement ignorants et hypnotisés, qu’ils ne voient pas la nécessité de l’une de ces trois conclusions ; qui, tranquillement, continuent de servir, même dans les conditions actuelles ; qui sont prêts à tirer sur leurs frères, et même en sont fiers. Mais, heureusement, de plus en plus l’opinion publique punit de son dégoût et de son mépris de tels hommes, et leur nombre diminue de jour en jour.

De sorte qu’en notre temps, quand le but fratricide de l’armée est devenu évident, les officiers ne peuvent déjà plus, non seulement continuer la tradition ancienne de bravoure ambitieuse, mais ils ne peuvent plus, sans reconnaître leur humiliation et leur honte, continuer l’œuvre criminelle d’apprendre le meurtre à des hommes simples qui ont confiance en eux, et se préparer eux-mêmes à prendre part à l’assassinat d’hommes sans défense.

Voilà ce que doit comprendre et se rappeler chaque officier de notre temps, qui pense et qui a une conscience.

Léon Tolstoï.


Gaspra, 7/20 décembre 1901.