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venait, disait-il, « s’y remonter », car Moscou, en dépit de ses cafés chantants et de ses tramways, n’en restait pas moins une espèce de marécage dans lequel on s’embourbait moralement. Le résultat forcé d’un séjour trop prolongé dans cette eau stagnante était de s’y affaisser de corps et d’esprit ; Oblonsky lui-même y tournait à l’aigre, se querellait avec sa femme, se préoccupait de sa santé, de l’éducation de ses enfants, des menus détails du service ; il en venait même à s’inquiéter d’avoir des dettes !

Aussitôt qu’il mettait le pied à Pétersbourg, il reprenait goût à l’existence et oubliait ses ennuis. On y entendait si différemment la vie et les devoirs envers la famille ! Le prince Tchetchensky ne venait-il pas de lui raconter, le plus simplement du monde, qu’ayant deux ménages il trouvait fort avantageux d’introduire son fils légitime dans sa famille de cœur, afin de le déniaiser. Aurait-on compris cela à Moscou ? Ici on ne s’embarrassait pas des enfants à la façon de Lvof : ils allaient à l’école ou en pension, et on ne renversait pas les rôles en leur donnant une place exagérée dans la famille. Le service de l’État s’y faisait aussi dans des conditions si différentes ! On pouvait se créer des relations, des protections, arriver à faire carrière !

Stépane Arcadiévitch avait rencontré un de ses amis, Bortniansky, dont la position grandissait rapidement ; il lui parla de la place qu’il convoitait.

« Quelle singulière idée as-tu d’avoir recours à ces Juifs ! Ce sont toujours là de vilaines affaires.